Le café

 C’est la matière première la plus importante tasse a cafeau monde après le pétrole. Il voyage des milliers de kilomètres pour arriver jusque chez nous, où il fait l’objet d’un nouveau culte. Des millions de personnes dépendent de lui pour vivre. Il incarne aussi l’économie mondialisée.

 

 

L’INVENTION D’UNE PASSION

C’est un breuvage amer, qui accompagne la journée de millions d’êtres humains à travers le monde, quels que soient leur langue, leur religion ou leur milieu d’origine. Au petit-déjeuner, au bureau, dans le métro ou après le repas, il est aujourd’hui l’un des produits les plus consommés au monde et un vecteur essentiel de socialisation dans beaucoup de cultures.

On estime que 2,25 milliards de tasses sont consommées chaque jour, soit 26.000 toutes les secondes. Le café fait vivre plus de 25 millions de paysans partout sur la planète. Il est, à lui seul, un symbole fort de l’économie mondialisée dans laquelle nous vivons.

Un produit issu des pays du sud, maismrecolte du café essentiellement consommé dans les pays du nord, dont la valeur fluctue sur les marchés boursiers et qui parcourt des milliers de kilomètres, sur les océans, pour atteindre sa destination finale.

C’est dans les montagnes d’Ethiopie que le café trouve son origine. On doit sa découverte à un certain Kaldi, berger de l’antique Abyssinie, qui, selon la légende, constata un état d’excitation inhabituel chez ses chèvres lorsqu’elles mangeaient le fruit d’un arbuste sauvage. Des moines goûtèrent les fruits en question, les trouvèrent trop amers à leur goût et les jetèrent au feu.

Le parfum délicieux qui s’en dégagea éveilla leur curiosité. Ils décidèrent alors de faire une infusion à partir de ces grains brûlés, laquelle fut reçue comme un cadeau de Dieu, car elle les aidait à rester éveillés pendant la prière du soir.

Originaire de la région de ‘’Kaffa’’, l’arbuste donna son nom à un breuvage qui allait bientôt conquérir le monde. D’Ethiopie, la culture du café s’est progressivement étendue au Yémen puis à l’ensemble de la péninsule arabique. La consommation d’une boisson revigorante, issue des graines de caféiers, y est attestée dès le Moyen-Age. Elle s’imposa d’autant plus facilement dans cette région du monde que toute boisson alcoolisée y était proscrite depuis l’arrivée de l’islam à la fin du VII ième siècle.

ROBUSTA OU ARABICA ?

Il a fallu attendre le XVII ième siècle pour que le café arrive en Europe. Ce sont des marchands vénitiens qui l’ont importé les premiers sur le continent, mais sa provenance arabique horrifia quelques cardinaux. On conseilla d’ailleurs vivement au pape Clément VIII d’interdire au plus vite ‘’cette boisson inventée par Satan pour les infidèles’’. Le pape n’en fit rien, séduit lui aussi par ce breuvage dont l’arôme s’avéra bien trop agréable pour être l’œuvre du malin. ‘’Il serait bien dommage que les musulmans en aient l’exclusivité’’, aurait ajouté le pape.

Le café poursuivit sa conquête du monde, grâce à la colonisation européenne. Les colons implantèrent massivement sa culture dans les pays tropicaux qui se trouvaient sous leur contrôle. Les 80 pays producteurs de café se partagent aujourd’hui trois continents ; l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie.

L’arbuste caféier (Coffea) se décline en 80 variétés. Les plus connues, ‘’Coffea arabica’’ et ‘’Coffea canephora’’, produisent les fameux cafés ‘’arabica’’ et ‘’robusta’’ qui composent l’essentiel des mélanges que nous consommons quotidiennement. L’arabica est le roi des caféiers. Cultivé en altitude, entre 800 et 2000 mètres, il nécessite un climat tempéré et humide, avec beaucoup d’ombre, pour produire des fruits de qualité. Les connaisseurs l’apprécient pour sa finesse et ses arômes. La plupart des grands crus de café sont d’ailleurs des arabicas, qui représentent environ 65% de la production mondiale. Parmi les principaux pays dont il est issu, on trouve le Brésil, premier producteur mondial, mais aussi la Colombie, le Mexique, le Kenya, ou encore l’Ethiopie, pays des origines.

Le robusta, lui est beaucoup moins fragile que son alter ego, d’où son nom. On peu le cultiver à basse altitude, dans la jungle, et il ne craint pas le soleil pour faire pousser ses fruits.

Le robusta est un café plus riche en caféinerecolte du café et moins aromatique, généralement considéré comme plus bas de gamme que l’arabica. On le trouve généralement dans les mélanges bon marché vendus en grande surface mais aussi dans les cafés solubles ou les cafés congelés. Les principaux producteurs sont le Vietnam et l’Indonésie mais aussi la Côte d’Ivoire ou Madagascar.

Point commun de toutes ces variétés : les structures familiales qui les cultivent. ‘’La majorité des producteurs de café sont des petits paysans’’ explique Sébastien Maes, chargé de campagne chez Oxfam-Magasins du monde. Des paysans aux conditions de vie précaires, directement impactés par la volatilité des prix et les dérèglements climatiques, de plus en plus prégnants sur le terrain. Ces dernières années, le prix du café n’a fait que baisser sur les marchés.

Des saisons sèches moins marquées ont favorisé l’émergence de maladies qui ont provoqué des pertes importantes dans certains pays producteurs. En particulier la ‘’rouille’’, une maladie fongicide qui a décimé les cultures dans plusieurs pays d’Amérique centrale. Beaucoup de paysans choisissent désormais d’abandonner la culture du café pour se diversifier. Sur le long terme, et si la demande continue de croître dans les pays du nord, certains arabicas pourraient devenir une denrée rare.

Cinq acheteurs

Si les producteurs sont nombreux dans le monde, les intermédiaires, eux, le sont nettement moins. ‘’Cinq sociétés contrôlent à elles seules 40% du marché mondial’’ explique Sébastien Maes. Des sociétés multinationales qui prennent en charge la torréfaction et qui distribuent ensuite le café sous de nombreuses marques, en grande surface et dans le secteur Horeca.

Ces sociétés, ce sont les géants de l’agroalimentaire comme ‘’JAB Holding’’, ‘’Lavazza’’, ‘’Nestlé’’ (avec notamment le café soluble ‘’Nescafé’’ ou les capsules ‘’Nespresso’’) ou encore ‘’Starbucks’’ (30.000 points de vente dans le monde). Comme pour d’autres filières alimentaires, on remarque une chaine de pression sur les prix qui part du distributeur, et qui se répercute sur les marques, puis les importateurs et enfin les producteurs. Il se passe la même chose chez nous avec des produits comme le lait.

Au final, l’essentiel de la marge bénéficiaire est concentrée dans les pays du nord, et non dans les pays producteurs.

Comme la plupart des denrées alimentaires, le café est coté en bourse. Sur le marché à terme de Londres pour le robusta, à New-York pour l’arabica. Au prix du marché s’ajoutent des ‘’différentiels de qualité’’, positifs ou négatifs selon les pays. La fluctuation des prix a un impact significatif sur les petits producteurs, déjà fragilisés par les conséquences des dérèglements climatiques. Le café est intrinsèquement lié à la finance. Les producteurs n’ont que faire de ces considérations. La plupart d’entre eux ont surtout besoin de cash car ils ont des dettes à payer et ils doivent subvenir aux besoins de leur famille, or, le café ne se récolte qu’une fois par an.

recolte du caféC’est pour pallier cette instabilité qu’ont été créées les filières dites de commerce équitable. Grâce au label Max Havelaar, devenu ‘’Fairtrade Belgium’’, l’acheteur paie un prix garanti au producteur, censé lui permettre d’avoir de meilleures conditions de vie. A ce prix (environ 1,41 dollar la livre) s’ajoute une ‘’prime de développement’’, payée aux coopératives de producteurs. Sauf qu’avec les fluctuations, il peut arriver que le prix du marché soit supérieur au prix du commerce équitable. Et lorsque le différentiel de qualité est élevé, il peut arriver que les filières de commerce équitable ne soient pas forcément un débouché intéressant pour les producteurs.

recolte du café

Apprentis sorciers :

En Amérique centrale, la culture de café a commencé au XVIII ième siècle. A la fin des années 80, et alors que le continent se remettait difficilement de plusieurs conflits civils qui l’avaient embrasé, certains acteurs du développement, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ont incité les paysans à relancer la culture de ce véritable ‘’or noir’’. A l’époque, la demande était en hausse au niveau mondial et l’offre ne suivait pas.

Au Guatemala, pays produisant des cafés considérés unanimement parmi les meilleurs au monde, la culture caféière est fortement encouragée dans les régions rurales, parfois analphabètes, qui signent des contrats avec des bailleurs de fonds sans malheureusement toujours comprendre les implications de leurs engagements. 

On a promis monts et merveilles à des paysans qui se trouvaient en situation d’extrême pauvreté, mais il s’agissait principalement de prêts. Or, ces prêts ont été rachetés ensuite par des banques locales que les paysans doivent désormais rembourser moyennant des taux d’intérêt très élevés. Les paysans guatémaltèques sont désormais lourdement endettés. Les prix du café, eux, ont chuté, entrainés à la baisse par l’arrivée massive de café vietnamien sur les marchés. Parti de rien, le Vietnam est en effet devenu, entre-temps, le troisième producteur mondial de café en quelques années à peine. Après l’Amérique centrale, les bailleurs de fonds ont largement encouragé cette région d’Asie à suivre la même voie. Le climat vietnamien est particulièrement propice à la culture du robusta.

Des cafés bon marché et solides qui intéressent l’agro-alimentaire.

Avec 7,3 millions de tonne produites chaque année, le café est, en valeur, la seconde matière première la plus commercialisée au monde, juste après le pétrole. La demande continue d’augmenter partout dans le monde, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Mais si la qualité du café tend à augmenter, la plupart de ceux qui le produisent sont loin de rouler sur l’or.

L’arabica en circuit court :

recolte du caféAprès 15 ans passés au Guatemala, le cinacien (habitant de Ciney en Belgique) Dimitri Lecarte à regagné son Condroz natal. Mais il n’est pas revenu les mains vides … Dans ses bagages, notre homme a ramené un café exquis et corsé, issu des hauts plateaux de ce pays. Dans la région d’Esquipulas, où il a travaillé durant ces 15 ans, 120 familles de producteurs de café se sont unies en coopérative pour cultiver un arabica de haute qualité.

Il est désormais possible de l’acheter en Belgique. En fait, exclusivement en Belgique, puisque le café Chorti a la particularité d’être un café vendu en ‘’circuit court’’, une première.

Après avoir vendu sa production à Starbucks, aux Etats-Unis, la coopérative s’est tournée vers l’Europe il y a quelques années, explorant notamment les possibilités offertes par les filières du commerce équitable. Mais le prix proposé était loin d’être satisfaisant pour offrir un revenu digne aux producteurs de la coopérative.

Compte tenu des coûts de production, de transformation et d’importation, la seule solution possible était de créer une filière en circuit court. Comme on achète ses légumes et ses œufs à la ferme, il est maintenant possible d’acheter son café directement chez le producteur, et peu importe si un océan sépare encore la Belgique du Guatemala.

Depuis 2014, la coopérative ‘’Café Chorti’’ commercialise donc directement son café en Belgique, via plusieurs points de vente (magasins bio et établissements Horeca notamment). Fini les intermédiaires, qui ponctionnent la marge et font pression sur les prix. Le producteur vend son sac de café à prix fixe (2,65 dollars la livre), près de deux fois le prix des filières du commerce équitable.

Le consommateur peut directement souscrire à une part dans la coopérative, permettant de financer la récolte en amont et d’offrir aux producteurs de la coopérative ‘’Café Chorti’’ des conditions de vie plus stables que s’ils devaient vendre leur café dans les filières traditionnelles. ‘’Café Chorti’’ est une aventure belgo-guatémaltèque qui réunit producteurs et consommateurs au sein d’un même projet.

Le café comme vecteur de plaisir et de progrès social.

commerce de café

Je sais, vous allez dire encore un exposé sur la café ! J’ai voulu cet exposé en guise de réflexion sur les petits producteurs qui se ruine la santé à longueur de journée pour nous fournir notre boisson fétiche et qui n’ont même pas de quoi vivre décemment.

Ces petits producteurs, souvent des paysans oeuvrant dans des conditions précaires, menacés par le changement climatique et qui pourtant, prennent tout avec le sourire.

recolteur du café

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Cet article est tiré d’une revue hebdomadaire belge.

Luc Vanden Abbeele

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Bulletin numéro 156 – Janvier – Février – mars – 2020 – page 29
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